Qu’est-ce que Le Refoulement ?

Avec le recul des années et l’établissement d’une historiographie qui dépasse les querelles entre écoles psychanalytiques, peuvent s’éclairer bien des aspects de la notion de Refoulement. Une histoire de l’idée du refoulement. Ainsi Élisabeth ROUDINESCO et Michel PLON reviennent sur l’histoire de cette notion fondatrice. Ils évoquent dans leur ouvrage, des concepts aussi importants que Le refoulement originaire, ou la Censure… Mais le refoulement n’est pas seulement un mécanisme de défense, il fait exister l’Inconscient comme un pilier du fonctionnement psychique, aujourd’hui étayé par les neurosciences.

Source : Site Le Conflit

« Freud n’est pas l’inventeur de l’idée de refoulement. Il le reconnaît lui-même très clairement dans ses considérations « Sur l’histoire du mouvement psychanalytique » publiées en 1914 : « Dans la théorie du refoulement, je fus à coup sûr indépendant ; je ne connais aucune influence qui aurait pu m’en rapprocher et tins moi-même, pendant longtemps, cette idée comme un idée originale, jusqu’au jour où Otto Rank nous montra le passage de Schopenhauer, dans Le Monde comme volonté et comme représentation, où le philosophe s’efforce de trouver une explication à la folie. Ce qui est dit dans ce passage sur notre répulsion à admettre un aspect pénible de la réalité recouvre si parfaitement le contenu de notre concept de refoulement qu’il se peut que j’aie une fois de plus la possibilité d’une découverte à l’insuffisance de mes lectures. »

A la suite de cette mise au point, Freud évoque ses difficultés à lire les œuvres de Friedrich Nietschze (1844-1900), auquel il emprunte, reconnait-il, le terme inhibition pour traiter d’un mécanisme qui coïncide avec sa conception du refoulement. Présente dans la philosophie allemande du XIXe siècle, l »idée de refoulement l’est également dans les travaux de psychologie de Johann Friedrich Herbart, puis ceux de Theodor Meynert, qui fut l’un des maîtres de Freud. Après avoir reconnu sa dette, Freud ajoute : « la théorie du refoulement est à présent le pilier sur lequel repose l’édifice de la psychanalyse, autrement dit son élément le plus essentiel, qui n’est lui-même que l’expression théorique d’une expérience que l’on peut répéter aussi souvent qu’on veut lorsqu’on entreprend l’analyse d’un névrosé sans le secours de l’hypnose (…) je m’élèverais très violemment contre celui qui prétendrait ranger la théorie du refoulement et de la résistance parmi les présupposés de la psychanalyse et non parmi ses résultats (…) la théorie du refoulement est une acquisition du travail psychanalytique. » »

Toujours pour Élisabeth ROUDINESCO et Michel PLON, qui inscrivent là l’opinion pratiquement unanime quand on discute psychanalyse, « l’idée du refoulement apparaît très tôt dans l’élaboration de la théorie freudienne de l’appareil psychique, avant même la lettre à Wilhelm Fliess du 6 décembre 1896, dans laquelle il met en place la définition inaugurale de sa première topique : dans cette lettre, le refoulement en l’appellation clinique du « défaut de traduction » de certains matériaux qui n’accèdent pas à la conscience. La raison de cette carence « est toujours la production de déplaisir qui résulterait d’une traduction ; tout se passe comme si ce déplaisir perturbait la pensée en entravant le processus de traduction ». Dans cette période, la notion de refoulement recoupe fréquemment celle de défense, même si elle ne lui est pas assimilée.

Dans les articles de 1894 et 1896 que Freud consacre aux psycho-névroses de défense, le refoulement est comme éclipsé par la notion de défense qui lui permet de poser une distinction étiologique entre l’hystérie, la névrose obsessionnelle et la paranoïa. Jean Laplanche et Jean-Bernard Pontalis se sont efforcés de clarifier ces relations complexes, et plusieurs fois modifiées, entre défense et refoulement. (…). Freud, en 1926, éprouvera encore le besoin de revenir sur ce point, dans son livre Inhibition, symptôme et angoisse, sans pour autant le clarifier de manière convaincante.

Constitutif de l’inconscient, le refoulement s’exerce sur des excitations internes, d’origine pulsionnelle, dont la persistance provoquerait un déplaisir excessif. Freud esquisse à ce propos un développement théorique déjà très élaboré dans une lettre à Fliess du 14 novembre 1897. A cette époque, sa fascination pour la théorie « fliessienne » des périodes sous-tend son transfert et il pense être sur le point de commencer ce qu’il appelle son « auto-analyse ». Il se surprend à prévoir des événements bien avant qu’ils se produisent (…). Freud expose alors à Fliess ses idées sur les zones érogènes infantiles qui ne sont plus, à l’âge adulte, source de décharge sexuelle : la région anale et, emprunt aux idées de Fliess, la région bucco-pharyngienne, régions qui ne doivent plus, normalement, être source d’excitation ou d’apport libidinal, sauf en cas de perversion. Mais ces zones sont susceptibles de produire une décharge sexuelle « par effet d’après-coup du souvenir ». En fait, il s’agit, poursuit Freud, d’une décharge de déplaisir, « une sensation interne analogue au dégoût ressenti dans le cas d’un objet. Pour nous exprimer plus crûment, le souvenir dégage maintenant la même puanteur qu’un objet sexuel. De même que nous détournons avec dégoût notre organe sensoriel (tête et nez) devant les objets puants, de même le préconscient et notre compréhension consciente se détournent du souvenir. C’est là ce qu’on nomme refoulement. »

Le refoulement ne traite pas les pulsions elles-mêmes mais leurs représentants, images ou idées, qui, pour être refoulés, demeurent cependant actifs dans l’inconscient sous forme de rejetons d’autant plus prompts à faire retour vers la conscience qu’ils sont localisés à la périphérie de l’inconscient. Le refoulement d’un représentant de pulsion n’est donc jamais définitif. Il demeure toujours actif, d’où une grande dépense énergétique.

Dans la 5e section du chapitre VII de L’interprétation du rêve, Freud décrit le refoulement comme un processus dynamique, lié au processus secondaire qui caractérise le préconscient (…). En 1915, dans le cadre de la métapsychologie, le refoulement fait l’objet d’un article où l’inconscient n’est plus totalement assimilé au refoulement : « Tout ce qui est refoulé doit nécessairement rester inconscient, mais nous voulons d’entrée de jeu poser comme tel que le refoulé ne recouvre pas tout ce qui est inconscient. L’inconscient a l’extension la plus large des deux : le refoulé est une partie de l’inconscient. » Cette mise au point appelle une redéfinition du refoulement : elle se trouve au cœur de l’article consacré à ce processus. Freud commence par y redire que le refoulement constitue par la pulsion et ses représentants « un moyen terme entre la fuite (réponse appropriée aux excitations externes) et la condamnation (qui sera l’apanage du SurMoi) ». Puis il distingue trois temps constitutifs du refoulement : le refoulement proprement dit, ou refoulement après-coup ; le refoulement originaire ; le retour du refoulé dans les formations de l’inconscient. Si l’on veut saisir l’essence de cette construction freudienne, il faut l’aborder par la question du refoulement originaire.

Le refoulement en général porte sur les représentants des pulsions, eux-mêmes objet d’un retrait d’investissement, c’est-à-dire d’une cessation de prise en charge de la part du préconscient : dans ce cas, l’inconscient effectue immédiatement un investissement substitutif qui appelle en retour un « contre-investissement » de la part du préconscient, lequel se heurte alors à l’attraction constituée par des éléments de l’inconscient anciennement refoulés. Ce dernier point conduit Freud à postuler l’existence d’un refoulement antécédent, un refoulement originaire. ce refoulement est assimilé par Freud à une fixation résultant d’un refus de prise en charge d’un représentant d’une pulsion par le conscient. Le représentant ainsi refoulé subsiste de façon inaltérable et demeure lié à la pulsion. On notera que Freud n’est guère explicite quant à la véritable origine du processus ; d’où proviennent les éléments attractifs de l’inconscient responsables de cette première fixation? A défaut de réponse claire, il émet l’hypothèse, en 1926, d’une effraction primordiale résultant d’une force d’excitation particulièrement intense. Le retour du refoulé, troisième temps du refoulement, se manifeste sous la forme de symptômes – rêves, oublis et autres actes manqués – que Freud considère comme des formations de compromis.

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