Le psychologue enfin remboursé

Un rapport de l’IGAS, publié en octobre 2019, mis en ligne le 6 février 2020, pose les bases de certaines conditions dans le but de proposer le remboursement des consultations de psychologie clinique en libéral par l’assurance maladie.

Contrairement à une idée reçue, ce sont les psychologues qui s’opposent en premier lieu à ce mode de remboursement sous tutelle, qui fait du médecin, une fois de plus et à grands frais, le prescripteur / ordonnateur, de la prise en charge spécialisée. Sans tomber dans la caricature, il convient d’interroger cette disposition de façon objective car elle touche à la fois la dimension éthique, déontologique, scientifique et éminemment politique et industrielle  de la prise en charge de la santé mentale en France.

Un rapport à charge, un débat de fond

Le psychologue clinicien est-il un spécialiste comme les autres ? Comme un kiné, un dermato, un chirurgien ?

  • Quelle compétence, quelle formation concrète en France, possède le médecin pour juger de l’importance d’une prise en charge psychothérapique ?
  • Plus encore, le médecin est-il apte à poser un diagnostic clinique sur l’état psychique de son patient ? Sa structure, ses modes de défense, la proximité d’une décompensation, et cela SANS présence de plainte ou de symptôme ?
  • L’angoisse, le stress, la prise de poids, la radicalisation politique ou religieuse, la violence…  sont-ils des symptômes nécessitant une prise en charge ?

Notre association, Psytech, comme de nombreux professionnels, souhaitons nous associer à cette étude mais les conditions de ce dispositif questionnent toujours et encore sur l’indépendance des cliniciens et les exigences gouvernementales face à l’urgence des conditions d’accueil de la santé mentale en France.

Le rapport de l’IGAS pose de véritables questions tout en suggérant aussi quelques solutions et impasses. Pour décrire les psychologues, ce rapport ne s’embarrasse pas de fioritures, il décrit sans détour une mise à l’écart des psychologues cliniciens diplômés d’Etat qui n’adhèrent pas à un modèle thérapeutique conforme aux fameux critères d’efficacité que l’on qualifie de scientifiques. Ainsi, il sera possible d’entrer dans le dispositif de remboursement à la condition d’une validation supplémentaire d’un DU en sus du Master 2 et de la qualité de Psychologue Clinicien. Cette petite musique vise évidemment les psychologues d’orientation psychanalytique ou ceux qui se risqueraient à évoquer dans leur pratique, l’inconscient, la pulsion, l’Œdipe, la suppléance, la sublimation ou la symbolisation primaire… c’est à dire, pour ceux qui osent le dire, tous les psychologues.

Bien sûr, comme toutes les directives ministérielles depuis plus de 50 ans, cette étude est rédigée par un médecin et par un pharmacien, le Dr Julien EMMANUELLI et Igor SEBAN, interne en pharmacie.

« Il a donc été demandé que soient proposés des compléments de formation cliniques, étant notamment observé qu’il existe des approches thérapeutiques dont l’efficacité est scientifiquement fondée. »

On évoque ici les TCC, Techniques Cognitivo-Comportementales, qui n’en déplaise à ce médecin, reposent aussi sur les outils de la psychanalyse, l’inconscient, la répétition, le trauma, mais aussi l’œdipe ou la théorie de l’esprit. De plus, comme beaucoup le savent, les TCC s’attaquent à la disparition du symptôme. Comme les médecins, ils n’interviennent aucunement dans les domaines de la prévention, des risques psychosociaux ou d’une quelconque articulation avec les autres acteurs médico-sociaux. Or, de nombreuses études démontrent avec force l’innocuité de ces approches si elles ne sont pas accompagnées par un substrat théorique forgé sur des concepts issus, entre-autres, de la psychanalyse.

« …En effet, les mentions de formation universitaires sont très diversifiées, et leur contenu parfois insuffisant au plan des approches cliniques et thérapeutiques. « 

« Un système de labellisation de ces diplômes (et des lieux de stage) par le ministère de la santé inciterait les universités à adapter leurs maquettes pédagogiques en conséquence et faciliterait l’examen des dossiers d’aptitude professionnelle soumis, avant installation, aux ARS. « 

Le diplôme de psychologue en soi, n’a donc plus aucune valeur dès lors qu’une seconde formation serait nécessaire ou que leur dossier devrait être « réexaminé » après obtention du diplôme : on comprend donc que certains diplômes de psychologues seraient donc labellisés, permettant ensuite à l’ARS de morceler hiérarchiquement ces diplômes, et d’attribuer des droits de remboursement ad hoc. Or, le LMD (Licence, Master, Doctorat) est bien déjà là dans ce but, ainsi que la mise en application d’une nosographie toujours plus médicale, l’ajout des matières comme les statistiques, la génétique, la neurologie, la psychopathologie, la déontologie, la gérontologie, la pharmacologie…

 » l’objet de la mission a été réorienté afin que la perspective d’une participation au parcours de soins coordonnés des psychologues cliniciens qui le souhaitent et de leur admission au remboursement soient examiné… »

En effet, il semble important de ne faire entrer dans ce dispositif, que les psychologues dont l’orientation ne nuirait pas…au médecin, et non au patient.
On trouve d’ailleurs un peu plus loin, un avis assez clair du Docteur sur la formation et la compétence des psychologues, qui d’après lui se résume, à une inscription administrative sur un fichier de l’ARS  : « Le statut de psychologue clinicien n’existe pas en tant que tel mais désigne dans le rapport les psychologues délivrant des soins psychiques. Dans les expérimentations de la CNAM et de la DGS, sont inclus en tant que cliniciens les psychologues ayant un master 2 agréé par l’ARS du lieu d’exercice et présents dans le fichier ADELI. » Cette précision, qui ajoute de la confusion, tente de ramener la formation des psychologue clinicien à celui des autres titres de psychologue comme celui de psychologue du travail, ou psychologue scolaire. Or il existe bien une formation spécifique à la clinique, qui permet de faire valoir un titre spécifique, à distinguer de la fonction qu’occupe le praticien (qui peut, par ailleurs, exercer dans le cadre d’une école, d’une entreprise aux R.H….)

Plus grave encore, le rapport menace, et pointe l’attitude des représentants professionnels qui s’opposeraient à toute intégration au parcours de santé pour des raisons d’indépendance.

Que peut-on alors dire de la formation des médecins psychiatres auto-proclamés « psychanalystes » dont la formation, la confusion et l’ambiguïté de statut (et de position) ne saurait être questionné par ce rapport de l’IGAS. Si ce rapport attaque la psychanalyse pratiquée par les psychologues formés à cette discipline à travers une formation universitaire de 5 à 8 années d’études, qu’en est-il de celle pratiquée par les médecins psychiatres ? Vont-ils eux, être sanctionnés par l’Ordre des médecins pour pratiques « non-scientifiques » ?

Le paradoxe est tel qu’assez peu de psychologues cliniciens ne sont aujourd’hui présents dans l’enseignement la psychologie. La plupart sont psychiatres, sans aucune formation à la psychologie clinique donc, y compris dans des universités réputées d’orientation psychanalytique, comme la feu Paris VII, aujourd’hui Paris cité, dans lesquelles les psychologues auront abandonné la psychanalyse pour les TCC ou l’orientation américaine woke, assez éloignée de la psychanalyse ou de la psychologie clinique.

Ainsi, le rapport occulte-t-il l’apport de la psychanalyse dans l’établissement de la nosographie du DSM, outils du diagnostic psychiatrique, de la psychiatrie institutionnelle, et l’apport de certains médecins de renom, aujourd’hui encore, Freud le premier, dans la représentation indispensable du traitement de la souffrance psychique

Comment méconnaître l’apport du Dr. Jean Ouri, du Dr Alain Vanier, celui du Dr. Golse, Dr. Donald Winnicott… des psychologues et psychanalystes Simone Korff-Sausse, Paul-Laurent Assoun, René Roussillon, Mélanie Klein, Francés Tustin, ou d’un autre psychiatre nommé Jacques Lacan ?

La formation spécifique en psychopathologie du développement, de l’enfance, de l’adolescent ne peut se contenter du recours systématique aux stupéfiants, et s’il y a bien un risque toxique, il est dans cette incroyable obstination à faire taire le symptôme par tous les moyens, y compris les plus violents, sans qu’une étiologie ni qu’aucune théorico-clinique ne soit convoquée.

Il y a nécessité à articuler les compétences et à écouter les acteurs du soin, qu’il s’agisse des psychologues, mais aussi des éducateurs ou des professeurs des écoles, il faut entendre leur désarroi et la pauvreté des réponses médicales actuelles en matière de sexualité, de comportement, d’hyperactivité, de passage à l’acte, de violence, de radicalisation, mais aussi de l’intégralité des TED et des TSA. Quelles réponses nos gouvernements portent-ils à ces maux qui rongent notre société ? Les TCC ? La Ritaline ? Le Quasym ? Le Risperdal ? La neurologie ?

Le rapport de l’IGAS avance un chiffre :

« (…) les troubles neuro-développementaux (troubles du spectre autistique, troubles spécifiques des apprentissages, …) nécessitant le recours à un psychologue toucheraient entre 1,5 % et 10 % des enfants »

Sur quelle base de calcul est fondé ce pourcentage ?

Quelles solutions pouvons-nous proposer ?

Nous disposons de psychologues formés, sélectionnés par une formation diplômante à l’instar des médecins, enrichis déjà, de plus de 1 000 heures de formations de terrain en stage institutionnel, portant aussi sur la neurologie, la pharmacologie, la sémiologie, la nosographie médicale, la génétique, pourquoi ne pas renforcer les obligations de stage dans les CHU, les CMP, CMPP, CATTP et les HP… afin de favoriser la complémentarité des compétences et des savoirs, plutôt que de vouloir abraser la richesse de ces savoirs sur un modèle unique qui s’avère depuis ces 50 dernières années, non seulement inefficace, mais totalement obsolète en matière comportementale, sociétale et prospective.

Le rapport de l’IGAS le dénonce à demi-mot en ces termes, sans véritablement pointer la nécessité d’une telle articulation :

« En France, ces affections constituent un enjeu majeur de prise en charge sanitaire et de santé publique : elles sont classées au premier rang des maladies en matière de dépenses de soins, avant les cancers et les maladies cardiovasculaires et touchent près d’un quart des français (cf.infra). Leur augmentation, associée à la complexification des pathologies et des situations à prendre en charge, conduit à saturer les capacités de réponse de notre système de soins, mais aussi à voir se développer la délivrance de soins non adaptés et/ou sur-coûteux (hospitalisations, prescriptions…). »

Nous psychologues cliniciens, devons impérativement valoriser notre compétence spécifique. Nous démarquer en prenant la parole et en étant véritablement représentés par des associations comme Psytech ou des syndicats a-politiques qui porteraient au débat une connaissance et un ensemble de modèles efficaces qui pour l’instant, n’ont jamais eu aucun équivalent. Il est temps qu’un véritable dialogue s’instaure et que nous soyons représentés dans toutes ces commissions qui depuis des années, ‘ministres médecins’ après ‘ministres médecins’, n’ont pas la moindre connaissance de l’apport de la psychologie clinique au quotidien, dans notre société, dans notre monde.

Enfin, nous n’entendons nulle-part la voix des psychiatres / psychanalystes pour défendre le métier de psychologue, aucun débat, aucune opposition, d’aucun de ces Maîtres de Conférence (MC) qui depuis des années enseignent DANS LES UNIVERSITÉS en charge du parcours même de la formation de psychologues ! Où sont-il pour défendre leurs propres étudiants ? Comment leur parole DE MÉDECIN est-elle entendue ? Si leurs précieux cours ne servent pas le parcours de santé, alors pourquoi ne pas confier ces formations universitaires à des psychologues plutôt qu’à des médecins qui, en tout état de cause, rechignent à envisager l’idée qu’un adressage à un psychologue clinicien indépendant soit absolument nécessaire ?

Les conditions d’un remboursement adapté des psychologues ne sont pas encore réunies. Mais ce remboursement est possible. Certainement pas sur le modèle d’une mise sous tutelle médicale, tout simplement parce que le psychologue intervient dans un champ de compétences méconnu des médecins, transversal, un champ social, professionnel, relationnel, développemental, et surtout préventif. Des modèles de prise en charge existent en Europe. Le psychologue y est considéré comme un dentiste (qui réclame un adressage au médecin traitant pour un mal de dent ?)
Bien sûr, le psychologue devra se plier à un Ordre représentatif, idée qui semble être acceptée par la jeune génération.

 

Pierre Dumont
Psychologue clinicien

Membre de l’association PSYTECH

 

Le rapport de l’IGAS