On peut associer de nombreuses fonctions à la pratique des jeux vidéo mais il convient de spécifier en quoi cette pratique est à distinguer lorsqu’elle est pratiquée durant la phase préadolescente, tant en terme d’effets que de fonctions. De fait, la période qui couvre la petite enfance à l’âge adulte est une phase de virtualité « en soi », celle d’un inconnu de l’âge adulte accompagné par une virtualité du devenir physico-chimique du corps. Les interrogations suscitées par le réveil des structures œdipiennes en termes d’identité sexuelle mettent alors en mouvement les enjeux d’instances ainsi que le rôle et la fonction surmoïque, mais aussi des
éléments archaïques prégénitaux laissant place à l’informe et au chaos. Il est donc important de décrire les intrications entre jeux vidéo, internet et période adolescente comme un corpus à part entière en favorisant les outils fournis par la clinique psychanalytique et non, comme c’est généralement le cas, selon une organisation classificatoire à visée exclusivement thérapeutique. Bien que cet ouvrage porte un intérêt particulier à la psychopathologie du passage à l’acte, nous ne pouvons extraire le jeu vidéo de son contexte social, historique et culturel car c’est dans cette recherche systémique que nous pourrons entrevoir la puissance des mouvements industriels qui accompagnent la pratique des jeux vidéo.
Le jeu électronique n’est rien d’autre qu’une autre forme de mécanisation du jeu. Elle est à rapprocher de l’âge d’or des automates du XVIIIe siècle, qui eux aussi, en leur temps, impressionnaient par la puissance de leur réalisme et leur capacité à singer le réel à des fins récréatives, à l’instar du dernier casque d’une réalité que l’on dit virtuelle. Au XVIe siècle, le premier véritable androïde de Léonard de Vinci pouvait coordonner ses bras et ses jambes grâce à un savant assemblage mécanique de poulies et d’engrenages. Le canard de Jacques Vaucanson (1738), célèbre automate, était capable de boire, manger, cancaner et déféquer, il n’en subsiste que des dessins.
Comme pour les jeux vidéo, ces automates suscitèrent de vives polémiques de la part des autorités ecclésiastiques, les accusant d’être blasphématoires, singeant les attitudes et comportements humains dont la « propriété » revenait au Créateur de toutes choses… Mais c’est le jeu comme fonction récréative qui encore de nos jours, porte le sceau du jugement moral. Ces procès viennent comme en écho paternaliste de certains psychiatres ou penseurs, qui assimilent la pratique des jeux vidéo à une addiction pouvant être rapprochée de la dépendance tabagique ou toxicomaniaque, y compris à des fins de bons conseils, agitant le chiffon rouge tout en en proposant une lecture comportementaliste éclairée.
En leur temps, les automates furent accusés des mêmes maux et des mêmes inspirations sataniques que les FPS des années 80. On pourrait s’interroger sur l’intérêt que portent les religions à cette activité humaine et évoquer les capacités projectives du jeu qui permet une immersion du joueur dans un environnement spatio-temporel qui autorise la transgression des lois sociales voire physiques, pour l’adhésion à de nouvelles. Il en va ainsi de l’Awalé, l’un des plus anciens jeux africains découverts, comme du dernier épisode de la série des « Call of Duty ». Le jeu est une opportunité offerte à l’adolescent de matérialiser un conflit ou de tenter de pallier une carence en nourrissant un imaginaire, des archétypes, plus commodes à manipuler et à circonscrire qu’ils ne le sont dans la vie réelle, tout en permettant la répétition : je meurs, je rejoue. Car c’est aussi dans les règles de la vie sociale et économique que l’adolescent voit poindre les changements de place et de « rôles », d’où l’importance de ces « jeux de rôles » apparus à partir des années 70.
Le jeu vidéo et en particulier le jeu de rôle vidéo (RPG), est une tentative répétée d’inscription dans une histoire personnelle et à travers celle-ci, d’inscription dans l’histoire de la famille et de la transmission tout autant que dans l’histoire du monde. Si elle est accompagnée, et qu’elle peut se déplier en parole, elle peut être une base de l’acte thérapeutique, pour des enfants comme pour des adultes.